Tracer des reprises du Pragmatisme en architecture (1990-2010). Penser l’engagement des architectes avec le réel.

Thèse soutenue par Pauline Lefebvre, 2016

Cette thèse porte sur les récents succès du pragmatisme en architecture. Elle s’intéresse particulièrement aux moments où le terme ‘pragmatisme’ prend un sens philosophique, lorsqu’une alliance est établie avec le courant de pensée entamé par Peirce, James et Dewey à la fin du 19ème siècle. L’objectif est de considérer à nouveaux frais la manière dont le terme a été discuté quand le milieu (principalement nord-américain) de la théorie de l’architecture s’est mis à aspirer à « un nouveau pragmatisme architectural » dans les années 1990 et 2000. Certains architectes ont commencé à réclamer une refocalisation sur les aspects pratiques de l’architecture, face à une discipline qui était devenue très théorique, surtout du fait des récents succès de la théorie critique allemande et du structuralisme et poststructuralisme français. Ils se désintéressaient de ces influences théoriques difficiles et mettaient surtout en cause la forme discursive que l’architecture s’était mise à prendre. Ils défendaient un retour à la pratique, à son aspect expérimental, projectif. 

Ce mouvement a soulevé beaucoup d’objections de la part de penseurs qui craignaient que ce tournant pro-pratique, anti-théorique ou encore « post-critique » ne prive les architectes des garde-fous assurés par la distance critique et ne les mène tout droit dans les affres de l’instrumentalisme, de l’anti-intellectualisme, et surtout d’une inacceptable complicité avec le marché ou le pouvoir. Mes recherches explorent les rares occasions où une philosophie alternative – le Pragmatisme – a été introduite pour tempérer ce mouvement anti-théorie. Dans ce contexte, certains ont considéré le Pragmatisme comme une alternative américaine secourable pour succéder aux philosophies continentales. Malgré ces tentatives, le Pragmatisme est très rarement considéré comme une véritable alternative à la théorie critique, du point de vue de la posture politique qu’il engendrerait : ceux qui redoutent les conséquences de l’attitude désinvolte des post-critiques n’admettent pas que le Pragmatisme puisse offrir des formes différentes d’engagement politique et de responsabilité morale, qui soient plus ancrées dans la pratique, sans être pour autant moins exigeantes.

La thèse s’empare de cet angle mort, de ce manque de confiance face aux promesses du Pragmatisme. Elle met en évidence les contributions qui ont choisi le Pragmatisme comme alternative à la critique ou du moins comme moyen de repenser les engagements des architectes à nouveaux frais, loin du réquisit de distanciation et d’autonomie imposé par la critique. La thèse prolonge encore cette exploration par un travail spéculatif, sous la forme de « et si ». Au travers d’une lecture approfondie des premiers pragmatistes, une série d’essais ponctuent la cartographie des récents succès du Pragmatisme en architecture, afin de penser – avec cette philosophie – l’engagement des architectes avec le réel.