Les natures politiques du projet urbain. Ethnographie d’une agence d’architecture et d’urbanisme à l’épreuve de son écologisation

Thèse soutenue par Pierre Bouilhol, 2024

Auteur : Quartier libre des Lentillères

Dans un contexte de prise de conscience des dérèglements écologiques et climatiques, il est impératif de réinventer la manière dont sont conçues les villes pour assurer aux sociétés une terre habitable au futur. L’urbanisme apparaît comme l’une des causes majeures de ces crises et donc comme l’un des principaux leviers pour en contrer les conséquences. Si le processus d’écologisation est bien documenté dans le champ de l’action publique ou des théories de l’urbanisme, il génère cependant en pratique des conflits en raison des multiples intérêts contradictoires auxquels il se trouve associé.

Cette thèse étudie ce que l’écologisation fait aux pratiques quotidiennes du projet urbain à partir d’une enquête ethnographique au cours d’une immersion de quatre années au sein d’une agence d’architecture et d’urbanisme. Trois processus de projet urbain qui suscitent des conflits au nom d’une protection de la nature sont analysés afin de décrire les trajectoires politiques d’entités ou de phénomènes naturels en ville. Appréhendées au travers des frictions qu’elles génèrent et traquées depuis une démarche de participation-observante, ce travail propose de saisir (1) ce que font ces natures urbaines et ce qu’on leur fait dire, (2) ce qu’elles font faire en retour, notamment aux concepteur·rices et in fine (3) au sein de quels autres intérêts elles se retrouvent confrontées.

L’enrôlement d’une multitude d’acteurs autour de communautés au-delà de l’humain fait apparaître la nature comme une catégorie politique qui mêle des pratiques concurrentes, des morales plurielles, des conceptions multiples du juste et des normes. L’injonction de « faire avec les dynamiques du vivant » rejoue des rapports de force entre les différents acteurs de la fabrique urbaine, recompose les régimes d’attention et les outils des architectes urbanistes, tout en perturbant le paradigme techniciste de domination sur le non-humain qui caractérise la discipline. Si l’urbanisme écologisé est devenu un argument de la fabrique urbaine néolibérale, il subsiste dans la question écologique un potentiel subversif qui permet, à différentes échelles, de réinvestir la nature politique de l’activité de projet.